☝️Les arguments pour le CV 1 page et le CV 2 pages
Nous avons de chaque côté des personnes spécialisées dans le domaine qui semblent avoir de bons arguments pour l’une comme pour l’autre proposition.
1️⃣ Pour le CV 1 page : « les recruteurs sont des gens pressés, l’information doit donc être condensée pour faciliter leur travail. »
2️⃣ Pour le CV 2 pages : « limiter son parcours professionnel à une seule page nous pousse à omettre des informations essentielles pour le recruteur, ce qui revient à se tirer une balle dans le pied. »
Peut-on les départager ?
Nous allons voir dans cet article que la réponse à cette question est loin d’être définitive, et qu’il va sûrement falloir utiliser d’autres astuces pour sortir d’une problématique aussi fermée.
🥊 Qu’en disent les études ?
Etudes basées sur les questionnaires : victoire au CV 1 page
Historiquement, une majorité des études menées pour connaître le format idéal d’un CV ou d’une lettre de motivation consistait à poser la question à des professionnels du recrutement, du genre « Préférez-vous un CV sur une page ou sur deux pages ? ».
C’est ainsi que dans les années 1970, 80 et 90, la majorité des recruteurs semblent préférer un CV sur une page (1).
Or, la recherche en psychologie comportementale nous a depuis longtemps prouvé que la méthodologie du questionnaire avait ses limites. En effet, un questionnaire nous montre simplement qu’un recruteur croit préférer un CV sur une page, mais aucunement qu’il va privilégier un CV sur une page quand il sera en situation de recrutement.
Etudes basée sur l’observation : victoire au CV 2 pages
Pour dépasser cette limite, des études plus récentes ont étudié d’un peu plus près le comportement du recruteur. Des chercheurs ont ainsi demandé à des recruteurs de classer des CV créés de toute pièce afin de vérifier lesquels retenaient leur préférence.
Dans ce genre de protocole, le but est de ne faire varier qu’un seul paramètre pour étudier ensuite, en fonction du jugement des recruteurs, l’impact de ce paramètre sur le classement final des CV.
A notre connaissance, trois études différentes ont mené ce type d’expérimentation sur la taille des CV : une en 1999, une autre en 2001, et une dernière en 2018.
La première (2), menée en 1999, a analysé le comportement de 64 recruteurs, à qui les chercheurs avaient envoyé 7 jeux différents de 4 CV. Résultat : la majorité des recruteurs semblaient privilégier les CV d’une page.
En 2001, une autre étude(3) a été menée auprès de grandes entreprises de conseils bien connues (McKinsey, Price Waterhouse, etc.). C’est ainsi que 100 recruteurs ont été mis à l’épreuve pour juger des jeux de 4 CV de candidates (il s’agissait de femmes uniquement, souvenez-vous : on ne fait varier qu’un seul paramètre) et en donner un classement de préférence. Ici, contrairement à l’étude précédente, 82% des CV en première position étaient des CV sur deux pages. Autre donnée intéressante : chaque candidate avait 2 CV différents : un CV sur une page et un CV sur deux page, et la version sur deux pages était systématiquement mieux positionnée.
Enfin, une étude beaucoup plus récente, menée en 2018 par la société ResumeGo(4), a essayé de comprendre l’influence de la longueur d’un CV sur la perception des recruteurs — en prenant le luxe de chronométrer le temps de lecture pour chaque CV. Là aussi, les résultats semblaient privilégier les CV de deux pages : pour un profil expérimenté, 74% des CV choisis étaient des CV de deux pages (58% pour les profils débutants).
🤔 Limites des études
Malheureusement, ces études plus récentes souffrent également d’autres biais, notamment ici le biais induit par le fait que le recruteur savait qu’il participait à une étude, ce qui peut amener un changement dans son comportement. Dans le cadre de la dernière étude menée en 2018, les recruteurs avaient été informés qu’ils seraient chronométrés, et une fois l’expérimentation menée, les chercheurs ont mesuré qu’ils mettaient en moyenne plus de 2 minutes à lire les CV d’une page et 4 minutes à lire les CV de deux pages, ce qui semble particulièrement élevé et en décalage avec ce que l’on croit savoir de la durée moyenne de lecture des CV.
Dans ces conditions, il est tout à fait possible que le protocole expérimental ait poussé les recruteurs à lire de manière plus attentive les CV des candidats, ce qui aura eu tendance à privilégier les candidats mettant plus d’indications que les autres sur leur CV.
Dans une situation réelle, aurait-il pris autant de temps pour lire un CV ?
En effet, quand un recruteur est en situation réelle, au bureau, entouré de ses collègues, avec des deadlines qui se superposent et de la fatigue qui s’installe au fil de la journée, il est probablement dans une disposition toute autre, qui influencera le temps qu’il doit passer sur une tâche en particulier, tout comme sa capacité de décision.
D’autres raisons, au delà des biais méthodologiques, peuvent expliquer le fait que ces études se contredisent :
- la première serait par exemple que la taille du CV n’a un effet que dans certains cas et pas dans d’autres, et que l’on n’a pas encore réussi à identifier les situations où ce critère a une incidence
- la seconde serait tout simplement que la décision d’un recrutement, tenant à de nombreux facteurs différents, ne donne à la taille d’un CV qu’une importance très limitée par rapport aux autres facteurs, voire quasiment nulle, sur le résultat final.
Ce que ces études nous montrent en revanche, c’est que le « bon sens » qui voudrait qu’un CV sur une page soit préférable à un CV sur deux pages, ne se vérifie pas nécessairement sur le terrain. Elles nous invitent donc à douter de toute information définitive sur le sujet !
😇 Nos recommandations pour faire un CV de la « bonne » longueur
S’il y a une chose que nous pouvons conseiller à tous les candidats, c’est tout d’abord de se méfier des conseillers, coachs et experts qui disent avoir la réponse définitive à la question de la taille du CV (et de leur envoyer notre article pour qu’ils se mettent à jour 😅 ).
Attention cependant : si vous recevez un conseil allant dans un sens ou dans l’autre, cela ne veut pas dire que la personne se trompe, car elle peut informer sa décision d’autres facteurs comme une connaissance précise d’un milieu, d’un métier ou d’une population où ce conseil est pertinent — nous vous invitons à vous méfier des personnes qui affirment une généralité dans l’absolue, et à chercher par vous même à comprendre pourquoi elle vous donne ce conseil.
Il faut cependant s’y faire : nous sommes aux XXIème siècle, et nous ne savons pas s’il vaut mieux avoir un CV qui tienne sur un page ou deux !
En revanche, nous pouvons essayer, au vu de ce que nous savons déjà sur le CV, de tirer un certain nombre d’hypothèses.
Nous savons par exemple qu’il est préférable de construire un CV dont les contenus répondent aux besoins des entreprises et aux attentes des recruteurs par rapport au métier visé, notamment dans les rubriques Expériences et Formation. Cette idée a été documentée dans de nombreuses études sur le CV (5), selon des protocoles et des situations différentes (contrairement aux études sur la taille des CV).
De ce point de vue, notre recommandation serait donc de procéder en plusieurs temps :
1. Sélectionner les contenus pertinents
La première étape consiste à faire une sélection rigoureuse des contenus de votre CV : assurez vous que votre CV corresponde au métier que vous visez, à l’offre, et à l’entreprise.
Pour cela, nous vous conseillons de faire l’analyse d’une offre d’emploi pour laquelle vous postulez (lire ici notre explication détaillée) puis de sélectionner dans votre parcours les contenus qui correspondent (si vous n’avez pas encore d’offre en tête, basez vous sur une fiche métier ou des offres d’emploi typiques du métier ciblé).
2. Rédiger chaque expérience
Un fois que vous avez le squelette de votre CV, prenez le temps de rédiger chaque expérience pour qu’elle soit la plus efficace possible. Vous pouvez notamment vous inspirez de notre article « Comment rédiger une expérience professionnelle en reprenant les codes du storytelling«
☝️ Si vous n’arrivez pas à suivre une présentation anté-chronologique pour organiser vos expériences, essayez de trouver une alternative dans notre guide « 9 manières d’organiser les expériences sur son CV« .
3. Peaufiner ses « soft-skills »
Pour terminer, vous allez faire un petit travail sur la présentation de vos soft-skills. En effet, contrairement à d’autres types d’informations transmises sur le CV, les qualités sont déduites inconsciemments d’un ensemble d’éléments.
Lisez à ce sujet notre article Comment rédiger les softs skills sur son CV.
4. Vérifier l’apparence visuelle
Une fois que vous avez rédigé tous vos contenus, prenez un peu de recul sur votre CV et assurez vous qu’il soit bien lisible. Il faut éviter au maximum les gros blocs illisibles qui ne donnent pas envie de se plonger dans la lecture du contenu.
Nous conseillons pour cela de garder un nombre de 3 à 5 expériences par page, 3 à 5 puces par expériences (et si possible, chaque puce doit tenir sur 3 à 5 lignes) — bien sûr, ces chiffres ne sont que des indicateurs, à vous de juger de la pertinence de l’apparence visuelle globale de votre CV.
5. Première version
A ce stade là de réécriture, vous pouvez regarder le nombre de pages de votre CV !
Vous tenez sur une page ? Parfait ! 👍
Vous tenez sur deux pages ? Parfait aussi ! 👍👍
Et s’il fait une page et demie ? Aucune étude n’existe pour savoir si un CV sur 1,5 page fonctionne bien également, mais on peut supposer que cela ne pose pas vraiment de problème 🙂.
Ce qui est important, c’est surtout que le contenu soit pertinent et bien rédigé, alors si vous avez respecté les 5 étapes ci-dessus, ça devrait être largement suffisant !
6. Itérations suivantes
Une fois que vous disposerez de cette première version de CV, vous allez pouvoir la confronter aux regards d’autres personnes : des professionnels ou des conseillers emploi pour demander leur avis, mais aussi bien sûr des recruteurs à qui vous allez envoyer vos candidatures.
A ce stade, vous l’avez compris, nous vous recommandons de prendre garde aux conseils généraux du type « Ah non, ça ne va pas, un CV doit tenir sur une page ». Si c’est le cas, essayez de comprendre pourquoi la personne vous dit cela, si elle appuie son discours sur une expérience réelle ou si elle se base sur les études sous forme de questionnaire des années 1990.
Quand vous envoyez votre CV pour vos candidatures, soyez vigilants aux retours.
Si vous avez des réponses positives pour des entretiens, alors le CV a fait son boulot ! Si en revanche vous n’avez pas de réponses, alors c’est sûrement qu’il y a quelque(s) chose(s) à changer. La taille du CV peut faire partie des éléments à faire évoluer, mais il est aussi fort probable que votre manque de succès vienne d’ailleurs.
Dans ce cas, nous vous conseillons de vous rapprocher d’un conseiller qui saura vous éclairer par son expérience — ou, si vous êtes membre Premium de DoYouBuzz, de venir participer à l’un de nos ateliers hebdomadaires où nous pourrons discuter de votre approche !
📚 Notes et bibliographie
Notes
(1) McDowel (1987), Horn (1988), Schramm & Dortch (1991), Spinks (1994), Blackburn-Brockman & Belanger (2001)
(2) Thoms (1999)
(3) Blackburn-Brockman & Belanger (2001)
(4) Yang, Peter. « One Or Two Page Resumes ». ResumeGo, novembre 2018. https://www.resumego.net/research/one-or-two-page-resumes/.
(5) Rynes and Gerhart (1990), Mount, Bretz, Rynes, and Gerhart (1993), Knouse (1994), Brown & Campion (1994), Cable and Judge (1997), Kristof-Brown (2000), Ross and Young (2005), Cole (2004), Chen et al. (2008), Waung (2017)
Bibliographie
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Brown, Barbara K, et Michael A Campion. « Biodata Phenomenology: Recruiters’ Perceptions and Use of Biographical Information in Resume Screening ». Journal of Applied Psychology 79, no 6 (1994): 897‑908.
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