Equilibre vie pro, vie perso : l’entreprise aussi doit changer ses valeurs

Face aux demandes absurdes des entreprises, faire passer le travail au plan suffira-t-il sans un changement de mentalité de l'entreprise elle-même ?

En mai dernier, la blogueuse BD Emma lançait un pavé dans la mare en abordant avec humour le sujet de la charge mentale et des inégalités femmes-hommes.

Il y a quelques semaines, elle récidivait avec un autre sujet tout aussi sensible : l’attente. Dans son billet, elle prônait un renversement des valeurs individuelles pour que chacun replace le travail au second plan de ses préoccupations. Selon nous, ce changement ne pourra pas se faire sans une modification en profondeur des cultures d’entreprises.

Chaque soir, des millions de femmes quittent leur boulot et entament leur sprint de fin de journée : voiture/métro/poussette pour récupérer les enfants à droite et à gauche, retour à la maison où il faut enchaîner immédiatement avec la préparation du repas — parfois en mode multi-tasking car il faut aussi gérer le bain –, brosse à dents, histoire du soir et dodo… Le tout dans un état de stress où les petits plaisirs du quotidien se font difficilement une place. Cet enchaînement de tâches en un temps aussi court, répété quotidiennement, est vécu d’autant plus difficilement que le conjoint, lui, reste au travail avec des justifications plus ou moins fondées, et son retour avant 20 heures reste souvent un mirage.

Tout en décrivant ces situations avec beaucoup de justesse, d’humour, et une pointe de colère, Emma nous incite à accorder au travail une place secondaire dans nos vies — notamment en s’attaquant à la culture du présentéisme, cette pratique totalement contre-productive qui consiste à glorifier le nombre d’heures passées au travail plus que son contenu réel.

Cependant, une fois ce renversement de valeur opéré, l’individu se retrouve souvent face à un autre système : celui de l’entreprise — et du monde économique en général — dont les valeurs sont bien souvent différentes de celles de l’individu, et dont le pouvoir est tel qu’il est capable de soumettre les salariés à ses propres règles.

Si l’objectif d’une société est d’être épanouissante pour tous, il devient nécessaire de s’attaquer à cette autre culture, celle du modèle d’entreprise dominant : la culture du “court-termisme” (“comment augmenter nos ventes pour le prochain trimestre ? Nous n’avons pas le temps de penser au long terme”), la culture de la peur (“nous sommes dans une compétition pour notre survie, il faut que tout le monde y mette du sien”) et la culture de la croissance à tout prix.

Cette culture amène les entreprises à considérer les salariés comme des ressources dont il faut retirer le maximum d’utilité plutôt que comme des éléments-clés d’un organisme en perpétuelle mutation.

Poussée à l’extrême, cette culture fondée sur le chiffre rend paradoxalement les entreprises sourdes à toute rationalité. On sait pertinemment que le présentéisme fait plus de mal que l’absentéisme, que travailler trop longtemps est dommageable pour la productivité, que le management par objectifs bloque la créativité. Et pourtant, le présentéisme continue d’être la norme, “travailler dur” est plus valorisé que “travailler intelligemment”, et les indicateurs de performances (les KPIs) sont souvent considérés comme le nec plus ultra des pratiques managériales.

Alors, comment faire en sorte que l’entreprise progresse dans le bon sens ? Qui peut, qui doit, initier cette transformation ?

W. Edwards Deming, célèbre théoricien du management et de la qualité, qui fut aussi l’un des instigateurs de la transformation de l’industrie japonaise après la Seconde Guerre mondiale, nous donnait la réponse il y a près d’un quart de siècle :

The job of a leader is to accomplish transformation of his organization. He possesses knowledge, personality, and persuasive power.

How may he accomplish transformation? First, he has theory. He understands why the transformation would bring gains to his organization and to all the people that his organization deals with. Second, he feels compelled to accomplish the transformation as an obligation to himself and to his organization. Third, he is a practical man. He has a plan, step by step, and can explain it in simple terms.

— W. Edwards Deming, The New Economics for Industry, Government, Education (1993)

Quand les règles imposées par l’organisation, non contentes d’être inutiles et dépassées, créent de la souffrance dans la vie familiale des salarié·e·s, c’est au·x responsable·s de l’organisation d’agir, tous ceux dont le rôle est de la faire évoluer : les manager, les (D)RH, et bien sûr les patrons/CEO/entrepreneurs. Et ce n’est pas parce que le rapport de force est à leur avantage qu’ils doivent mettre de côté leur souci de l’autre.

À DoYouBuzz, ces questions nous préoccupent depuis des années. Parmi les centaines de personnes qui s’inscrivent chaque jour sur notre plate-forme, nombreuses sont celles qui aspirent à trouver un environnement de travail plus épanouissant. Quand elles viennent pour faire leur CV sur DoYouBuzz, nous sommes parfois les premiers témoins de leur envie de changement. Et bien souvent, cette envie survient à la suite d’un ras-le-bol, d’une prise de conscience. Comme celle qu’Emma nous incite à avoir collectivement.

Peut-être cette question nous tient-elle à coeur parce que notre métier est de nous intéresser aux situations des personnes en recherche d’emploi et en transition professionnelle. Peut-être avons-nous individuellement été sensibilisés au sujet par les discussions et rencontres que nous avons eu au cours de notre histoire ? Toujours est-il que nous nous sommes forgés une conviction : l’entreprise ne doit pas contraindre les vies personnelles des salariés mais doit au contraire être, dans la mesure du possible, un instrument de leur épanouissement.

À partir de ce principe premier, nous avons avancé pour modeler notre manière de travailler ensemble. Les mécaniques que nous avons mises en oeuvre amènent certes leur lot de contraintes mais celles-ci sont largement compensées par les améliorations concrètes qu’elles apportent en terme d’organisation, d’efficacité, et de bien-être personnel.

Le télétravail — pouvoir travailler de chez soi — est la première de ces mécaniques. Il en existe différentes modalités : du télétravail total (pas du tout de bureau) au télétravail occasionnel (travailler de chez soi quand on attend une livraison, ou quand il y a une grève à l’école), en passant par le télétravail régulier (quelques jours par semaine chez soi, le reste au bureau), ces différents modes correspondent à des besoins différents, à des gens différents et demandent des adaptations différentes de la part de l’organisation.

Le plus ambitieux est le télétravail total, car il demande une rigueur que la majorité des organisations n’ont pas — à tel point que dans notre esprit, si une entreprise autorise le télétravail complet, c’est généralement un signe de bonne organisation.

Il existe généralement des arguments contre le télétravail : le premier est que les gens ne vont rien faire et qu’il faut les surveiller pour qu’ils avancent, le second est que cela représente trop de contraintes d’un point de vue juridico-sanito-je ne sais quoi, enfin, le troisième est généralement que la distance complexifie la communication. Notre réponse : ces problèmes existent sûrement, mais comme tous les problèmes, ils se résolvent. 1/ S’il y a un problème de confiance, c’est au manager de le résoudre — et enchaîner les salariés à leur poste de travail est une solution dépassée, ringarde ; 2/ s’il y a un problème juridique ou sanitaire, c’est au service des ressources humaines que de le résoudre ; 3/ si le télétravail amène des problèmes de communication, c’est qu’il faut accompagner ce changement et faire évoluer les pratiques — et cela incombe encore une fois à ce que Deming appelle “les leaders”.

La flexibilité horaire, autre mécanique, est la possibilité de choisir ses horaires sans forcément avoir besoin de prévenir les autres, sans se sentir contraint non plus de travailler 7h56 par jour. La seule obligation chez nous est de participer aux réunions (qui sont fixées en accord avec les emplois du temps de chacun et qui ne se tiennent jamais après 17h). Pour le reste, à chacun de s’organiser pour mener à bien ses missions.

Si on veut aller plus loin, la flexibilité horaire est aussi une façon de prendre en compte ce fait : le travail ne se passe pas toujours… au travail. Dans de nombreux métiers (notamment ceux qui impliquent de faire tourner son cerveau), les idées vont et viennent et ne choisissent pas leur moment pour émerger. Doit-on faire apparaître sur les feuilles de salaires les “heures de sommeil créatives”, celles qui nous aident à trouver, au lever du lit, la solution à un problème qui nous a tenu en haleine toute une journée ? La réponse est non, bien sûr ! Dans ce cas-là, si l’on n’est pas comptable de son temps personnel, doit-on aussi être comptable de son temps professionnel ? Ce qui est important, c’est de progresser, pas de compter ses heures. Et le mieux placé pour savoir s’il progresse est celui ou celle qui fait le travail. À lui ou elle, donc, de décider quand il commence, et quand il s’arrête.

La dernière mécanique, l’ajustement permanent, est probablement la plus intéressante de toutes. C’est la possibilité pour tout le monde de pointer du doigt ce qui ne va pas dans notre manière de fonctionner et de proposer des améliorations. Chez DoYouBuzz, on appelle ça des “réunions de gouvernance”. Elles ont lieu tous les mois. Selon un protocole assez strict qui favorise l’écoute et ne s’embarrasse pas des justifications, nous avançons petit à petit sur la résolution de tout ce qui freine notre organisation. C’est, nous en sommes persuadés, un garde-fou très intéressant à toutes les règles inutiles et absurdes qui démotivent aujourd’hui la majorité des salariés.

Avec quelques années de recul, nous sommes souvent surpris de voir à quel point certaines politiques que nous avons mis en place, peu contraignantes, qui peuvent aider les gens à être plus souple dans leur organisation personnelle , sont balayées d’un revers de main par les responsables des organisations : “Impossible de faire ça chez moi”.

Sérieusement ? Et si tout simplement, on essayait ? Est-ce que ça ne vaudrait vraiment pas le coup si ça marchait ?

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